Et eux ?
Si on devait retenir un mot de la décennie “parcours du combattant” de Raphaëlle, c’est celui-ci : espoir.
Même quand elle était au plus bas, elle dit y avoir toujours cru. “À chaque fois, tu penses être tombée dans un trou plus profond que le précédent et ne jamais pouvoir en remonter. Mais à chaque fois, tu lèves les yeux et l’espoir est toujours là.”
C’est avec tendresse et humour qu’elle nous partage son aventure vers la maternité.
Raphaëlle et Pierre ont respectivement 25 et 32 ans quand ils se rencontrent. Professionnellement, ça va bien. Pour le reste, tout arrive vite et naturellement… Vivre ensemble, se marier, l’envie de devenir parents.
“Autour de nous, nos amis ont déjà un, voire deux enfants. Je sais que j’en veux depuis toujours. Pierre également. C’est une évidence, nous serons parents bientôt ! Un an passe, toujours rien. Mon gynécologue fait des examens de mon côté et du côté de Pierre. Mais pour nous, il n’y pas de quoi s’inquiéter… déjà, parce que dans mon entourage, je n’ai jamais entendu parler de gens ayant eu des difficultés à concevoir et ensuite, parce que nous sommes jeunes !”
Et pourtant…
“Je me souviendrai toujours de ce vendredi où le gynéco m’appelle pour me dire qu’il y a un problème avec le spermogramme de mon mari. Il me demande si je veux en parler à Pierre. Inutile de le faire paniquer, de plus je n’y connais rien. J’ai préféré que l’annonce soit faite par le médecin.
Après avoir gardé l’info pour moi tout le week-end, nous voilà dans son bureau, lundi à la première heure.”
Une matinée qui laissera un goût amer au couple.
“Très peu pédagogue, c’est froidement que le gynéco nous balance la nouvelle. ’Démerdez-vous avec l’info’, c’est le message qu’on a eu l’impression de recevoir à ce moment-là. C’est clair qu’on nous enlève tout sentiment…
Sonnés, un bout de papier à la main où se trouvent les coordonnées d’un autre médecin, nous partons.
Pierre est tellement secoué qu’il démarre en oubliant d’enlever l’anti-vol du scooter (rires).”
Rendez-vous pris. C’est le point de départ de tout un circuit qui va durer des années pour Raphaëlle et Pierre.
On leur fait passer une série de tests complémentaires. En parallèle, le couple se documente beaucoup. Une série d’ICSI (intracytoplasmic sperme injection où la femme est stimulée artificiellement) commence pour Raphaëlle.
“Au début, c’est l’infirmière qui s’en charge. Puis moi. Il faut être rentrée à la bonne heure pour se piquer, je travaille, c’est contraignant et je ne parle de cette aventure à personne.
Dans ce processus, tu fais plusieurs prises de sang et de multiples échographies pour déterminer quand l’ovulation a lieu. Ensuite, direction l’hôpital. Là, on te prélève les oeufs que tu as fabriqués; parfois tu en as trois, quatre, voire dix. Dans la multitude de spermatozoïdes sélectionnés, on choisit celui qu’on juge correct, puis ça part en labo. Encore une fois, on serpente. C’est l’inconnu… Mais là, succès ! La première fois, ça prend.
Juillet arrive. On fait attention sur les routes de vacances. Lors du contrôle des six semaines, on me dit que le coeur s’est arrêté de battre. C’est fini ! Je prends des cachets abortifs, je suis au travail avec des douleurs épouvantables. J’élimine ce qu’il y a à éliminer et encore une fois, je n’en parle à personne.”
Après cette fausse couche, Raphaëlle et Pierre font plusieurs tentatives. Ça n’a plus jamais fonctionné.
- Au-delà des déceptions auxquelles tu étais confrontée chaque mois, on imagine qu’une certaine pression devait se faire ressentir…
Oui… La pression vient surtout du fait que les années passent et que rien n’arrive. Que tu sais que tu as un problème, que ça ne viendra pas naturellement et qu’il faut trouver une solution. Je suis toujours restée terre-à-terre.
- Malgré ta force mentale, est-ce que tu t’es sentie soutenue par le personnel médical durant cette période ?
J’ai été déçue et je ne me suis pas sentie soutenue, non. Dans des situations comme ça, le couple vit des choses qui sont psychologiquement très impactantes et on ne prend pas ça en compte, finalement. Tu es un numéro parmi tant d’autres. La PMA n’est pas une science exacte, si ça fonctionne, tant mieux, sinon il n’y a pas de raison à donner aux “clients”.
- As-tu déprimé ?
Jamais. Je me sentais désespérée, profondément désespérée, oui. Je me demandais ‘pourquoi moi ?’, ça engendrait d’énormes frustrations, mais j’y croyais et je gardais l’espoir.
- Et Pierre…
… Lui culpabilisait beaucoup.
- Penses-tu qu’il a eu peur que tu partes ?
Oui. Un moment, par amour pour moi, il en est arrivé à se dire qu’il serait mieux qu’on se quitte pour que je puisse devenir mère. Il voulait me laisser ma chance.
C’est aussi la première fois dans notre vie qu’on voulait quelque chose qu’on ne pouvait pas avoir. Si on voulait des vacances, on les avait; si je voulais une paire de bottes très chère, j’économisais mais je l’avais. On s’est rendu compte qu’il n’y avait que ça - avoir un enfant - qui comptait. On se foutait du reste. Rien ne pouvait combler ce bonheur inatteignable et si simple pour la plupart des gens autour de nous.”
Après être passés entre les mains de plusieurs équipes médicales, Raphaëlle et Pierre se retrouvent finalement avec celle du fameux Professeur Frydman, à Paris.
“Avec des gens humains… on va dire ‘plus’ humains que les précédents.”
Les salles d’attente sont remplies de couples à problèmes; chaque cas est différent mais tu te sens en “communion”.
Toujours rien. Les années défilent et le couple est contraint de passer à une autre étape. Celle du “donneur”.
- Avez-vous réfléchi longtemps avant d’entamer ce processus ?
Pour Pierre, ça a pris un court temps de réflexion… c’est normal. Pour moi, c’était oui direct. Débute alors un énième nouveau cheminement, celui d’un rendez-vous dans une banque de sperme.
Nous voilà repartis en scooter, un thermos entre les genoux, loué peu avant à la pharmacie… et l’aventure qui continue (sourire).
Là, ça a marché du premier coup ! Je suis tombée enceinte de ma première fille.
- Et comment s’est passée ta grossesse ?
Merveilleusement bien.
- As-tu eu peur de perdre le bébé ?
Non. J’étais confiante, épanouie dans mon boulot, un poste à responsabilités que je venais de prendre et qui me passionnait. Tout se déroulait bien, c’était une super période.
Avec le recul, cette solution - le donneur - était l’avant-dernière étape avant l’adoption.
J’ai vraiment eu le sentiment d’une succession de “niveaux” pendant cette aventure. Tu passes une marche, puis tu accèdes au palier supérieur…
Octobre 2006, Stella naît.
“Je crois bien que la première année nous ne sommes plus sortis le soir. On a vécu ça à 100%.”
Quant à la façon dont ils ont procédé, c’est naturellement qu’ils l’ont dit à leur entourage. “On n’a pas trop calculé. Il n’y a pas eu de jugement”.
“Pour notre deuxième bébé, on a recommencé le scooter, le thermos, tout ça (rires).”
Même grossesse de rêve que la précédente, même accouchement, même bonheur.
Agathe arrive, deux ans après sa soeur.
Deux belles années passent. Puis, un jour de septembre, malaises et nausées chez Raphaëlle.
“Je fais un test de grossesse : positif. Sidération des deux côtés. Pierre a sans doute pensé que ce n’était pas lui le père, au début. Quand ça fait douze ans qu’on nous dit qu’il est impossible d’enfanter naturellement… Une fois passés le choc et le questionnement, nous sommes ravis.”
Et voilà que neuf mois plus tard, le petit Paul naît.
- Comment Pierre a-t-il vécu cette aventure-là ?
Il était déjà comblé. Pour lui, il n’y a jamais eu aucune différence…
La façon dont Agathe et Stella ont été conçues est d’ailleurs un non-sujet dans la famille. Les enfants le savent depuis qu’ils sont petits et rien n’a jamais été caché.
“Ce qui est amusant, c’est d’entendre parfois dire que l’aînée a le même nez que son père ou que la seconde, les mêmes yeux marrons en amande. On se regarde alors tous, complices.”
Trois adolescents épanouis, des parents heureux. Une famille qui fait la fierté de Raphaëlle !
Ce qu’elle dirait aux femmes qui luttent pour enfanter ? Exactement ce qui a été son moteur pour passer au travers de son long parcours : “Toujours garder l’espoir !”